ENREGISTRÉ AUX INSTANTS CHAVIRÉS

Parution du CD « Instants Chavirés » sur le label de Jean-Marc Foussat (Fou Records).
Enregistré le 17 février 2000.
Trio PETER KOWALD / DAUNIK LAZRO / ANNICK NOZATI.
Dispo à Paris via le label ou au Souffle Continu (Rue Gerbier / Paris 11ème).

http://fou.records.free.fr/disques.htm

« Je ne chante pas pour passer le temps, expliquait Annick Nozati, je suis une sauvage de scène, mais j’ai aussi une voix plus profonde et calme — même quand je fais des cris, des sons de désespoir ou de colère, une espèce de plain-chant qui peut devenir un orage, un cataclysme… ». Quelques mois après cet enregistrement aux Instants Chavirés, la chanteuse allait décéder, victime d’une crise cardiaque. « À la balance son de ce concert, se souvient Daunik Lazro, Annick était grave, elle savait que son mari allait bientôt mourir. Elle m’a dit quelque chose comme “je ne suis pas venue pour pousser la chansonnette”. Cela s’entend ! ». Tout en multipliant les activités pédagogiques, elle avait joué avec Gérard Marais, Didier Levallet, avec Joëlle Léandre et Irène Schweizer, avec Fred Van Hove et Johannes Bauer, avec Lazro, puis avec Michel Godard, Barre Phillips, Peter Kowald…
« Ce que j’aime le plus à la basse, disait l’homme de Wuppertal, c’est pouvoir m’associer à des chanteurs — pas seulement les accompagner, mais se situer quelque part où l’on peut vraiment s’intégrer ». De fait, outre avec la Française, Kowald a longtemps entretenu des relations soutenues avec des chanteurs et chanteuses au fort tempérament : Sainkho Namtchylak, Diamanda Gallas, Yildiz Ibrahimova, Jeanne Lee, Beñat Achiary… « J’ai joué avec des chanteurs transsibériens à Tuva, avec Charles Gayle et Rashied Ali à New York, avec des musiciens africains en Afrique, avec des musiciens japonais au Japon. Et j’ai toujours aimé ça. Peut-être que pour un Allemand ayant une tradition brisée, l’une des solutions est d’être un musicien voyageur… ». Il fut aussi l’un des rares improvisateurs européens radicaux à favoriser les collaborations régulières avec des musiciens noirs américains, tels que Danny Davis, Frank Lowe, Jimmy Lyons, Julius Hemphill, Kidd Jordan, Fred Anderson, etc.
Une jazzitude également revendiquée par Daunik Lazro, à travers ses complicités et assocations avec Oliver Johnson et Muhammad Ali (via Saheb Sarbib), Dennis Charles, George Lewis ou Joe McPhee (« nous avons un dieu commun, disait-il en compagnie de ce dernier, c’est Coltrane ! »), tout en défrichant d’autres territoires escarpés avec Jean-Jacques Avenel, Siegfried Kessler, Jean Bolcato, Michel Doneda, Carlos “Zingaro”, Evan Parker, Jac Berrocal, Joëlle Léandre, Paul Rogers, Phil Minton, Benjamin Duboc, Didier Lasserre ou les Kristoff K.Roll. Il raconte que la veille de ce concert à Montreuil, Kowald l’avait invité pour un duo en Italie. Durant le long trajet du retour dans sa camionnette sur les autoroutes enneigées, ils avaient surtout écouté de la musique : des inédits d’Ornette Coleman avec Dewey Redman et d’Ayler avec Cecil Taylor et Lyons.
Les morceaux de ce CD sont présentés dans l’ordre du concert et se décomposent avec bonheur en deux trios, trois duos (pas si doux) et un très émouvant solo (“L’invisible”) de la chanteuse où l’on retrouve ce « chant profond » évoqué plus haut. Dans les groupes, l’expressivité et la synergie des trois protagonistes sont à leur zénith, la musique est d’une puissance poétique incomparable. C’était la première et unique rencontre de ce trio.
Un document exceptionnel.

Gérard Rouy, juillet 2014