du 05 octobre au 13 novembre 2016

Christian HIDAKA & Raphaël ZARKA
« La famille SCHOENFLIES »

ic-2016-idaka-zarka-001

Exposition du 5 octobre au 13 novembre 2016
Vernissage vendredi 7 octobre – 18h/21h

Instants Chavirés / Ancienne brasserie Bouchoule
2, rue Emile Zola 93100 Montreuil

Ouvert du mercredi au dimanche, 15h-19h.
Entrée libre.

L’association Muzziques / Instants Chavirés bénéficie du soutien de la Ville de Montreuil, du Conseil Général de Seine-Saint-Denis, du Ministère de la Culture (DRAC Île-de-France) et du Conseil Régional d’Île-de-France.

Avec le soutien de la galerie Michel Rein, Le Grand Café – centre d’art contemporain
et la Fabrique.
__________________________

ic-2016-idaka-zarka-003


Christian Hidaka, Raphaël Zarka – La Famille Schoenflies
par Christophe GALLOIS.

Christian Hidaka et Raphaël Zarka se sont rencontrés, il y a une vingtaine d’années, en Angleterre, lors de leur scolarité commune à la Winchester School of Art. Comme souvent entre les étudiants d’écoles d’art, l’amitié qui naît alors entre eux se forge au gré des discussions au sujet d’artistes découverts, de livres lus, des premières intuitions et des premières réalisations de l’un et de l’autre. Dans un texte évoquant ces années d’apprentissage, Raphaël Zarka reprenait à son compte ces mots de Richard Hamilton : « Bien souvent, la valeur d’une formation provient des autres étudiants[1]. » Ce qui est moins habituel, c’est que l’échange qu’ils ont entamé à cette époque s’est prolongé au fil des ans, le plus souvent de manière informelle – les discussions se poursuivant en parallèle à l’épanouissement de leur pratiques respectives –, parfois de manière plus tangible. En 2008, Christian Hidaka incluait ainsi à l’une de ses peintures[2] un couple de rhombicuboctaèdres – le polyèdre semi-régulier autour duquel tout un pan de l’œuvre de Raphaël Zarka s’est développé – et, en 2010, ce dernier écrivait le texte introduisant la première exposition de Christian Hidaka en France[3]. Malgré l’allure très différente que revêtent leurs pratiques, elles ont en commun d’être le creuset de formes, de motifs, de techniques et de sources d’inspiration issus de domaines et de contextes historiques et géographiques les plus variés. Evoquons, pêle-mêle, les paysages désertiques, le physicien et mystique anglais Robert Fludd, l’Art de la mémoire, les espaces virtuels, la peinture du Trecento ou encore le cubisme chez Christian Hidaka ; des figures liées à l’histoire des sciences telles qu’Archimède, Galilée et Abraham Sharp, le skateboard, le concept de jeu chez Roger Caillois, la sculpture américaine ou certaines œuvres de la Première Renaissance chez Raphaël Zarka.

Le projet qui les réunit à nouveau ici, dans cette exposition pensée sur le mode du dialogue, a pour point de départ un étonnant ensemble d’objets mathématiques de la fin du xixe siècle. Il s’agit de modèles géométriques en plâtre réalisés par un mathématicien et cristallographe allemand, Arthur Moritz Schoenflies (1853-1928), dans le cadre des recherches qu’il menait à cette époque sur les groupes d’espace ; recherches qui aboutirent à son ouvrage majeur, Kristallsysteme und Kristallstruktur, publié en 1891. Travaillant sur la question du pavage de l’espace, Schoenflies mit au jour un certain nombre de modules géométriques – des « motifs » tridimensionnels aux dessins plus ou moins complexes – qui, combinés à d’autres modules identiques, se déploient dans l’espace sans laisser de vide. Élaboré à partir d’une douzaine de modules, chacun des modèles en plâtre illustre ce principe.

Quand il les a découverts, lors d’une visite dans les collections de l’université de Göttingen, où ils furent conçus, Raphaël Zarka a immédiatement perçu tout le « potentiel sculptural » que recelaient ces modèles géométriques. Il a ensuite pu les étudier plus précisément à l’Institut Henri-Poincaré, qui en possède également un ensemble[4]. Cette rencontre rejoignait celles qu’il avait faites au mitan des années 2000 avec plusieurs objets scientifiques[5], tout en présageant d’autres développements possibles quant à la possibilité d’une sculpture « documentaire » – terme qu’il a forgé pour désigner la manière dont certaines de ses sculptures, au-delà de leur apparence abstraite, renvoient à des objets existants. « La notion de documentaire, indique-t-il, permet de préciser que les choix opérés ne sont pas seulement formels. L’objet de référence “charge” la sculpture de son histoire. […] Choisir, c’est trouver la chose avec laquelle j’ai envie que mon travail ait une relation[6]. » Parce que les modèles de Schoenflies sont basés sur la répétition d’une forme modulaire, il y a aussi vu le prolongement possible d’un ambitieux groupe d’œuvres qu’il a développé ces dernières années, Les Prismatiques, conçu sur le principe de la permutation à partir d’une même forme, comme dans un jeu de construction.

Incarnant ces différentes préoccupations, les sept sculptures en bois de merisier qui composent la série La Famille Schoenflies reprennent précisément, à une échelle plus grande, la forme de sept des onze modèles du scientifique allemand, ceux que l’artiste considère comme étant les plus « sculpturaux ». Le titre de l’exposition et celui qu’il a donné à chacune de ses sculptures, empruntant les prénoms de Schoenflies, de sa femme et de ses cinq enfants, nous invitent à appréhender cet ensemble comme on ferait la connaissance des membres d’une même famille, en prêtant attention à l’« air » qui les réunit, mais aussi aux traits qui les distinguent. C’est également une manière pour l’artiste de souligner, discrètement, l’intérêt qu’il porte à la biographie des figures que son travail l’amène à croiser.

Réalisées spécifiquement pour cette exposition, les peintures de Christian Hidaka déploient quant à elles, autour des sculptures, une série de niches picturales librement inspirées de représentations similaires issus de l’histoire de l’art, celles que l’on trouve par exemple dans l’art des Trecento et Quattrocento, chez des artistes tels que Taddeo Gaddi et Antonello da Messina ou dans certains studioli : ces espaces destinés à l’étude qui préfigurent l’essor des cabinets de curiosité aux siècles suivants. Dans ses manifestations les plus illustres, à Urbino et à Gubbio notamment, le studiolo était entièrement habillé de décors en marqueterie représentant, en trompe-l’œil, des alignements de niches ou d’armoires occupées par des objets symbolisant les arts et les vertus – livres, partitions, objets scientifiques, instruments de musique, armes, etc. –, comme un « portrait […] du for intérieur[7] » de leur commanditaire.

Devons-nous voir ici le « portrait » des sculptures qui composent La Famille Schoenflies ? Ou un portrait, en creux, des deux artistes ? Dans les niches peintes par Christian Hidaka, se dévoilent en tout cas des objets qui, autour des sculptures, dessinent une constellation ; constellation de liens, de formes, de résonances, de chemins à suivre. On y trouve des polyèdres réguliers, une curieuse « sculpture » géométrique découverte dans un portrait gravé de l’orfèvre nurembergeois Wenzel Jamnitzer datant du xvie siècle, une reproduction d’une peinture de Giorgio Morandi[8] représentant une niche dans laquelle sont disposées des formes simples. À propos de cette dernière, Christian Hidaka rappelait que son auteur avait été marqué par les marqueteries de la cathédrale de Bologne – une influence qui avait sans doute contribué à sa recherche de planéité – et qu’il y utilisait un principe chromatique, la tétrachromie, qui remonte à l’Antiquité[9] et qu’on retrouve chez Picasso[10].

Prolongeant les récentes recherches de Christian Hidaka sur l’espace scénique[11], ces niches s’inscrivent au sein de différents plans picturaux, comme les différents pans d’un décor. Quatre d’entre elles se détachent de murs ornés de motifs géométriques directement inspirés de pavements peints qu’on trouve dans le Grand Cloître de l’abbaye de Monte Oliveto Maggiore en Toscane. Sur le plus long mur, au fond de l’espace d’exposition – dans le champ théâtral, on parlerait du « lointain » –, les trois autres niches habitent un décor extérieur qui n’est pas sans évoquer, de par sa construction et sa perspective, le mode de représentation spatiale qui caractérise l’art de la Première Renaissance. Autour des sculptures de Raphaël Zarka, se déplie alors un espace qui, à l’instar de la pratique des deux artistes, tient à la fois du studiolo et de la scène, de l’étude et de la représentation, de la pensée et de la forme. Le visiteur, lui, est invité à y pénétrer. « L’expérience du spectateur, énonce Christian Hidaka, est de déambuler dans un tel espace, un espace dont l’occupant se serait mystérieusement volatilisé, ou n’aurait peut-être même jamais existé[12]. »

CG, Septembre 2016.

_____________________

[1] « It is often the case that the value of an education is derived from other students » : Richard Hamilton, Schooling, Collected Words, Thames and Hudson, Londres, 1983, cité par Raphaël Zarka dans le texte rédigé à l’occasion de l’exposition Balanced Rock de Christian Hidaka, Galerie Michel Rein, Paris, 2010.
[2] Houses at the Foot of a Mountain, 2008.
[3] Christian Hidaka, Balanced Rock, Galerie Michel Rein, Paris, 2010
[4] Manufacturés par Schoenflies à Göttingen, les modèles furent commercialisés dès 1891, à destination de l’enseignement.
[5] Mentionnons notamment les sculptures Tautochrone (2007) Padova (2008) et Tautochrone vérifié (2010), qui reprennent la forme de deux répliques d’instruments scientifiques de Galilée découvertes au Musée d’histoire de la physique de l’université de Padoue et au Musée d’histoire des sciences (aujourd’hui Museo Galileo) à Florence, ou les œuvres réalisées à partir d’un livre du mathématicien et astronome anglais Abraham Sharp, Geometry Improved (1717).
[6] Christophe Gallois, « Entretien avec Raphaël Zarka », Raphaël Zarka, Éditions B42, Paris, 2012, p. 208-209.
[7] Daniel Arasse, Le Sujet dans le tableau. Essais d’iconographie analytique, Flammarion, Paris, 1997.
[8] Natura morta con palla, 1918.
[9] Appelle, Nicomaque ou encore les peintres qui exécutèrent les portraits du Fayoum en firent usage.
[10] Voir à ce sujet la conférence, titrée « Cubism and Non-Linearity », que Christian Hidaka a donnée au Musée Picasso-Paris le 25 mars 2015 dans le cadre du colloque « Revoir Picasso » : http://revoirpicasso.fr/wp-content/uploads/2016/03/RevoirPicasso-2015_J1_Ch.Hidaka.pdf.
[11] Voir notamment son exposition Desert Stage, présentée au Grand Café à Saint-Nazaire de mai à septembre 2016, dans laquelle tous les éléments qui composent l’une de ses peintures, Trobairitz, était redéployés dans l’espace d’exposition.
[12] Échange écrit avec l’artiste, septembre 2016.

ic-2016-idaka-zarka-006

ic-2016-idaka-zarka-008

ic-2016-idaka-zarka-015

ic-2016-idaka-zarka-016

ic-2016-idaka-zarka-017

ic-2016-idaka-zarka-023

ic-2016-idaka-zarka-024

ic-2016-idaka-zarka-025

ic-2016-idaka-zarka-026

ic-2016-idaka-zarka-028

ic-2016-idaka-zarka-029

ic-2016-idaka-zarka-030

ic-2016-idaka-zarka-032

ic-2016-idaka-zarka-041

ic-2016-idaka-zarka-047

ic-2016-idaka-zarka-050 ic-2016-idaka-zarka-051

ic-2016-idaka-zarka-052

ic-2016-idaka-zarka-054

ic-2016-idaka-zarka-055

Photraphies Aurélien Mole © les Artistes. Courtesy Galerie Michel Rein

__________________________

Raphaël Zarka

Né en 1977 à Montpellier, Raphaël Zarka est diplômé de la Winchester School of Art et de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Lauréat du Prix de la fondation d’entreprise Ricard en 2008, il a été nominé au Prix Marcel Duchamp en 2013. En 2010-2011 Raphaël Zarka était pensionnaire de l’Académie de France à Rome, Villa Médicis. Il est actuellement en résidence à l’Atelier Calder à Saché.

Sculpteur, photographe et vidéaste, Raphaël Zarka explore l’histoire des formes tel un   collectionneur, sociologue ou archéologue, pour en montrer la permanence.  Il construit un univers comme un immense cabinet de curiosités où la récurrence des formes dans la culture   et l’histoire de l’art reste le point central de sa réflexion. cet artiste se définit aussi comme un chercheur, un scientifique, un découvreur et non comme un inventeur, n’hésitant pas à citer Borges pour expliquer sa démarche : « C’est presque insulter les formes du monde de penser que nous pouvons inventer quelque chose ou que nous ayons même besoin d’inventer quoi que ce soit. »

Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions en France et à l’étranger Centre Pompidou, Musée d’art moderne de la Ville de Paris et Palais de Tokyo (Paris) ; Modern Art (Oxford) ; Mudam (Luxembourg) ; Macro, Maxxi et Fondation Nomas (Rome) ; Palazzo Fortuni (Venise) ; Performa (New-York) etc.
Raphaël Zarka est également l’auteur de trois essais sur la pratique du skateboard : La Conjonction Interdite, Une Journée sans vague et Free Ride, parus aux éditions B42. Ces mêmes éditions ont publié en 2012 sa première monographie. Il est représenté par les galeries Michel Rein (Paris/Brussels) et Luciana Brito (Sao Paulo, Brésil).

Galerie Michel Rein/Raphaël Zarka

Christian Hidaka_out of season_2016_FR-21
Christian Hidaka Out of season, 2013
Huile tempera sur toile de lin, 131 x 196 cm
Courtesy de l’artiste et Michel Rein, Paris/Bruxelles

Christian Hidaka
Christian Hidaka, né à Noda au Japon en 1977, a étudié à la Winchester School of Art et à la Royal Academy Schools à Londres où il vit et travaille.

Ses peintures utilisent le paysage pour créer un monde imaginaire. Un monde qui n’émane pas du nôtre et qui est peut-être la représentation d’un monde inexistant. Sans idéalisation aucune, la nature dans le travail d’Hidaka est figurée sans limites spatiales et en constant déploiement.
S’y concentrent trois types d’espaces – déserts, montagnes et grottes. Dans les déserts, on peut trouver des sites activés par des actions, par des histoires, par des signes. Dans les montagnes, le regard des spectateurs se balance et rebondit suivant le plan pictural entre les sommets des montagnes, de multiples horizons, des chutes d’eau et du brouillard. Les entrées de grottes se trouvent dans les montagnes et les déserts et nous emmènent dans des lieux inhabités. Les peintures d’Hidaka échappent aux modes traditionnels de la représentation du paysage, sans référence familière, le regardeur s’aventure ainsi dans un monde totalement étranger et y explore les possibles plutôt que l’impossible. Dernièrement son travail incorpore des formes de théâtralité tant dans sa peinture que dans les moyens de la spatialiser.

Parmi ses dernières expositions personnelles, on peut signaler Desert Stage au Grand Café à Saint Nazaire (encore en cours jusqu’au 4 septembre 2016) mais aussi The Fool à la Galerie Michel Rein à Paris en 2015, Meeting house en 2013 à la Synagogue de Delme. On verra également son travail aux Abattoirs de Toulouse dans le cadre de l’exposition d’Aurélien Froment et Raphaël Zarka en septembre 2016. Son parcours l’a notamement mené à la Grim Gallery à Amsterdam, au MUDAM (Luxembourg), au Torrance Art Museum (USA) en 2011, au Weisman Art Museum en Californie, à la Goss-Michael Foundation à Dallas, en 2009, au Consortium (Dijon, France) et la Schirn Kunsthalle  à  Francfort (Germany) en 2005.

christianhidaka.com
Galerie Michel Rein / Christian Hidaka

Christian Hidaka_exposition_Saint Nazaire_2016_FR-11

Christian Hidaka vues de l’exposition Desert Stage
Le Grand Café centre d’art contemporain, Saint-Nazaire.
plus d’infos : vimeo.com

horaires
ouverture des portes 15h |